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[Fsfe-france] Tribune dans Liberation : Bill Gates a la conquete du Sud
From: |
Frederic Couchet |
Subject: |
[Fsfe-france] Tribune dans Liberation : Bill Gates a la conquete du Sud |
Date: |
Wed, 05 Jan 2005 09:59:38 +0100 |
User-agent: |
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Une tribune publiée aujourd'hui par Libération concernant l'accord
Microsoft/Unesco.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=265884
Bill Gates à la conquête du Sud
Le partenariat entre Microsoft et l'Unesco risque d'assujettir les
pays en développement.
Par SILVEIRA Sergio Amadeu DA et Benoît SIBAUD et Frédéric COUCHET
mercredi 05 janvier 2005
Le 17 novembre, Bill Gates, en déplacement à Paris, rendait visite
au siège de l'Unesco pour signer un accord de partenariat avec
l'organisation. L'accord définit huit objectifs pour lesquels
l'Unesco et Microsoft se promettent de travailler ensemble, en
échangeant expérience, savoir-faire et projets de développement.
Aussi louables que soient ces objectifs, nous nous étonnons de voir
l'Unesco choisir de les mettre en oeuvre avec le concours de
Microsoft. Cela, d'autant que l'organisation internationale a
montré par le passé des signes importants de soutien au logiciel
libre, mettant en ligne un portail qui lui est dédié, reconnaissant
le projet GNU (1) comme «Trésor du monde», ou encore en soutenant
le développement du live CD Freeduc du projet Ofset (2). Le rapport
annuel 2003 de la Cnuced concluait que «les logiciels libres
pourraient dynamiser le secteur des TIC dans les pays en
développement» et l'Unesco affirmait, par la voix d'Abdul Waheed
Khan (département Information et Communication) : «L'Unesco a
toujours encouragé l'extension et la diffusion de la connaissance
et reconnaît que dans le domaine du logiciel, le logiciel libre
diffuse cette connaissance d'une manière que le logiciel
propriétaire ne permet pas.»
Pourtant voilà qu'avec la signature de ce partenariat nous avons le
sentiment de voir cette honorable institution se détourner d'une
opportunité réelle de réduire la fracture numérique dans les pays
en développement. Car quels seront les effets à terme pour les deux
parties ? A les examiner, on s'aperçoit qu'il s'agit de «retombées
commerciales» en ce qui concerne Microsoft tandis que c'est le
terme de «conséquences négatives» qui s'impose pour ce qui regarde
les pays du Sud...
La firme de Redmond, en échange d'un investissement minime la mise
à disposition de copies de programmes déjà amortis obtient
l'opportunité d'asseoir sa pénétration commerciale dans les pays du
Sud, auréolée du prestige et du pouvoir prescripteur d'une grande
organisation internationale. Pour les pays en développement la
liste des conséquences et des abandons est plus longue.
En promouvant le logiciel propriétaire, l'accord incite les pays en
voie de développement à percevoir le logiciel comme une chose que
l'on achète plutôt que de la construire, comme un produit
industriel plutôt qu'une technique culturelle qui mérite d'être
enseignée et partagée. L'accord adhère à l'idée qu'il est
acceptable de renoncer à des libertés essentielles dans le seul but
d'avoir accès à certains programmes informatiques. L'éducation et
la culture ne se résument pas au savoir-faire et à la connaissance
: elles sont également faites de valeurs. Quand le logiciel est
utilisé comme véhicule d'éducation et de culture, ces valeurs ne
devraient pas être reléguées au second plan.
Si les pays en développement aspirent à réduire la fracture
numérique qui les sépare des pays industrialisés, ils ne comptent
pas y sacrifier leurs spécificités linguistiques et culturelles. Or
un éditeur comme Microsoft, dont on leur propose de devenir les
clients captifs, n'est pas en mesure de développer des versions de
ses logiciels dans des langues ou pour des usages qui ne lui
offrent pas un débouché commercial rentable. Tel n'est pas le cas
du logiciel libre où l'engagement, bénévole ou non, d'un nombre
réduit de personnes permet cette localisation. Le navigateur
Internet Mozilla peut ainsi désormais être utilisé avec une
interface en luganda, grâce aux efforts d'une petite équipe de huit
personnes. Cette traduction a été menée à bien en moins d'un an par
une équipe de huit utilisateurs motivés, dont quatre traducteurs,
sans financement et sans organisation formelle.
Comme le soulignait très récemment l'Association ivoirienne
GNU/Linux et les Logiciels libres : «pour apprendre, il faut
comprendre». On voit effectivement mal comment les étudiants en
informatique des pays en développement s'approprieraient des
techniques dont l'essentiel leur demeure dissimulé ? On cerne
encore plus mal la légitimité en matière d'enseignement d'une firme
dont le modèle commercial repose en grande partie sur
l'interdiction de l'étude et de l'emploi des procédés techniques
qu'elle met en oeuvre ? À l'opposé de cette mentalité étriquée, la
philosophie du logiciel libre est fondée sur la mutualisation des
savoirs, parfaitement en harmonie avec la culture du partage
traditionnelle de nombre de pays en développement, en particulier
africains. Un slogan éculé de l'aide au développement daté des
années 70 proclame : «En donnant un poisson à un homme, on le
nourrit un jour ; tandis qu'en lui apprenant à pêcher on le nourrit
toute sa vie.» A l'ère de l'informatique, en donnant un logiciel
propriétaire à un homme, on en fait un simple consommateur de
technologie ; tandis qu'en lui offrant la possibilité de
s'approprier la technique du logiciel libre, il en devient
producteur.
En faisant le choix du logiciel propriétaire, un Etat se limite à
louer une technologie location qu'il acquittera sous forme de
licences renouvelables et de mises à jour payantes de ses
outils. Dans le cas du logiciel libre, le développement logiciel
sera réalisé localement, et ces capitaux qui partaient à l'étranger
resteront dans le PIB. La capacité à entreprendre dans la société
de l'information dépend prioritairement de l'accès aux logiciels
sur lesquels elle s'appuie. Un industriel qui serait dépendant d'un
fournisseur en situation de quasi-monopole qui lui interdit de
modifier lui-même ses outils logiciels pour les adapter à son
activité perd tout espoir d'entrer un jour sur un pied d'égalité
dans la compétition mondiale. Une industrie basée sur le logiciel
libre se place, elle, d'emblée, au même niveau de technologie que
les plus grands acteurs internationaux. A l'heure de la société de
l'information, seul le pays qui maîtrise ses outils logiciels peut
espérer maîtriser son développement. Faute de quoi, il est victime
d'une colonisation rampante d'abord économique et culturelle, puis,
au final, politique. Pour s'en convaincre, il n'est qu'à observer
les intenses efforts de lobbying antilogiciel libre menés
actuellement par les Etats-Unis au sein du Sommet mondial sur la
société de l'information (SMSI).
Outre son efficacité, les responsables politiques attendent d'un
système de communication que les délibérations qu'il mène en son
sein et les décisions qu'il s'apprête à prendre ne soient soumises
ni au regard ni à l'influence d'un tiers, qu'il s'agisse d'une
puissance étrangère ou d'intérêts privés. Assurances que ne peuvent
en aucun cas délivrer les produits Microsoft en raison du caractère
confidentiel et dissimulé de leurs codes source. Dès l'année 2000,
un rapport de la Délégation des affaires stratégiques, dépendant du
ministère français des Armées, pointait d'ailleurs la collusion
entre la NSA (National Security Agency) et Microsoft, allant
jusqu'à dénoncer, en restant toutefois prudemment au conditionnel,
la présence de fonctionnaires de la NSA parmi les équipes de
développeurs de Microsoft. Quatre ans plus tard, le rapport
parlementaire sur l'intelligence économique commandé par le
gouvernement Raffarin au député Bernard Carayon soulignait les
mêmes dangers attachés au logiciel propriétaire en matière
d'indépendance informationnelle. Le logiciel libre, dont le code
source est vérifiable par tous, n'est pas suspect des mêmes
collusions Etats/intérêts privés. Lui seul peut garantir aux pays
du Sud qu'en rattrapant leur retard technologique, ils n'abdiquent
pas en même temps une part de leur souveraineté.
Nous exprimons la crainte qu'à travers ce partenariat, avec le
concours bien involontaire de l'Unesco, Microsoft ne s'apprête à
forcer la main des pays en développement pour les placer sur la
voie, non pas d'un développement durable, mais d'une sujétion tout
aussi durable. Nous craignons que le «cadeau» de Microsoft ne soit
le «baiser de la mort» donné à la recherche et à l'industrie
logicielles de ces pays. L'offre de Bill Gates à l'Unesco est une
offre de développement commercial pour Microsoft, alors que les
logiciels libres présentent une réelle alternative de développement
culturel, scientifique, technologique et économique pour les pays
du Sud.
Nous prenons acte de la déclaration de Koïchiro Matsuura, directeur
général de l'Unesco, qui a indiqué que «la relation entre Microsoft
et l'Unesco n'était pas exclusive». Nous espérons vivement voir ces
propos trouver prochainement leur confirmation à travers une
démarche qui donne la priorité au logiciel libre, démarche qui
rétablirait un équilibre aujourd'hui rompu.
(1) Projet lancé en 1984 pour bâtir un système d'exploitation le
choeur et le chef d'orchestre de tout ordinateur totalement
libre. Le nom GNU, «GNU's not Unix», est une blague
d'informaticien, l'acronyme ne livrant jamais sa signification.
(2) Freeduc est une distribution GNU/Linux entièrement libre ne
nécessitant aucune installation. Elle est spécialement dédiée au
monde de l'enseignement et donne la possibilité aux acteurs du
domaine de se familiariser avec les 40 applications libres
sélectionnées.
Sergio Amadeu da Silveira de l'Institut national des technologies
de l'information (Brésil), Benoît Sibaud de l'association pour la
promotion et la recherche en informatique libre et Frédéric Couchet
de la Fondation du logiciel libre.
--
Take action against software patents http://swpat.ffii.org
Sauvez le droit d'auteur http://eucd.info
APRIL http://www.april.org
Frederic Couchet +33 (0) 6 60 68 89 31
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