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Re: [Fsfe-france] concepts et questions de terminologie


From: antoine moreau
Subject: Re: [Fsfe-france] concepts et questions de terminologie
Date: Fri, 06 May 2005 18:49:44 +0200
User-agent: Mozilla Thunderbird 1.0 (Macintosh/20041206)

Le 5/6/05 2:19 PM, Loic Dachary a peut-être écrit (may be wrote) :
Antoine writes:
 > Quelles sont ces qualités spécifiques ?

        C'est une blague ? Je te retourne la question : est-tu prêt à
soutenir qu'un logiciel n'est pas substantiellement différent de
toutes les oeuvres immatérielles ? Ou encore que tous les textes que
l'on trouve sur gnu.org/philosophy s'appliquent indifférement à toute
oeuvre immatérielle ?


Je suis ce fil passionnant et à plusieurs reprises j'ai failli répondre mais sachant que j'allais en mettre une tartine, je me suis abstenu. C'est qu'il y a bcp à dire.

Trop sûrement. C'est pourquoi je vais citer un auteur parmi les plus intéressants concernant ces questions de distinction et rapprochement entre oeuvre et vie, art et politique, matériel et immatériel :

<cite>
Ainsi l’identification esthétique de l’art comme manifestation d’une vérité qui est passage de l’infini dans le fini lie originairement ce passage à une « vie des formes », un processus de formation des formes. Et, dans ce processus, tous les critères de différenciation entre les formes de l’art et les formes de la vie dont il est l’expression, comme entre les formes de l’art et les formes de la pensée qui en assure la reprise, s’évanouissent. Il en va de même pour les principes de différenciation entre les arts et, finalement, pour la différence même entre l’art et le non-art. En bref, l’autonomie esthétique de l’art n’est que l’autre nom de son hétéronomie. L’identification esthétique de l’art est le principe d’une désidentification esthétique généralisée. Celle-ci commence avec la révolution poétique de Vico, affirmant qu’Homère a été poète parce qu’il n’a pas voulu être poète [...]
</cite>

Jacques Rancière, Malaise dans l'esthétique, Gallilée, 2004.

Ceci pour dire qu'il faut trouver les bonnes catégories pour les faire jouer les unes avec ou contre les autres. Celles qui nous apparaissent évidentes sont souvent les moins pertinentes.

Comprendre qu'il s'opère qq chose dans nos critères de jugement. On penserait que c'est alors n'importe quoi, tout et son contraire, mais non : c'est autrement précis et fin. La reconnaissance de ce qui est procède de la découverte de ce que ça n'est pas et de l'invention de ce que c'est alors : une inversion du fait accompli. N'importe quel auteur fait ça sans le savoir, c'est le moteur même du geste. Sans cette pulsion qui défait il n'y a pas même de geste. Pour la pensée : idem. Penser et dire le vrai d'un objet c'est l'inventer, le découvrir tel qu'il n'est pas visiblement. Les exemples sont multiples et aujourd'hui il y a amplification de ce fait là parce que nous sommes à un moment de l'hsitoire de la pensée qui a déconstruit magnifiquement/monstrueusement les faits. Les faits ne sont que ce qu'on en fait. Ils n'existent pas en fait. Nous mêmes sommes faits, croyants faire. C'est dire...

Donc il faut trouver les bonnes catégories pour mener sa réflexion et son action de façon à opérer là où c'est sensible. Le nerf. Le coeur. Je vous laisse imaginer, suffit de dépenser un peu, repenser là où c'est pensable de façon à ne pas passer son temps à repasser ce qui est à priori pensé et jugé juste.

Les bonnes catégories se trouvent :
- dans les points communs qui se dégagent des éléments qui se rapprochent.
- dans les dissensions qui s'établissent lorsque l'unité des points communs est mise en péril.


 > Une image faisant partie d'un logiciel hérite-t-elle des "qualités
 > spécifiques aux logiciels" ?
 > Ou hérite-t-elle des qualités "partagées par les autres oeuvres
 > immatérielles" ?
 > Y a-t-il une frontière qu'on puisse formaliser sans ambiguïtés entre deux
 > catégories ?

        Je n'aime pas les frontières. Et en l'occurence il ne s'agit
pas de déterminer les frontières mais de reconnaitre l'existence de
qualités spécifiques au logiciel. Reconnaitre ces qualités ne veut pas
dire nier l'existence d'objets hybrides composés d'images et de
logiciels. Reconnaitre ces qualités ne revient pas non plus à isoler
le logiciel dans une sorte de tour d'ivoire.

Si la pratique de la création de formes peut être utile ici je peux dire ceci par expérience et qui fait suite à la citation de Rancière : une qualité est véritable si et seulement si elle excède ses propres critères. Ainsi toute création qui a la volonté d'apporter les preuves de ses qualités est en deça de ce à quoi elle est vouée, elle n'invente rien, ne montre rien sinon son impuissance (et celle-ci peut-être fortement démonstrative et faire effet de qualité...).

amha il n'est pas question d'objets hybrides mais bien de rapport intelligent entre deux objet jugés distincts. Leur distinctions, c'est à dire leur élévation mutuelle, se trouvera lorsque qu'ils pourront opérer ensemble, de concert, pour accomplir ce qui va excéder leur enclos propre et ainsi poser leurs limites ccommunes et trouver une forme au plus près de ce qu'ils sont en puissance.

Je n'ai rien bu, suis pas à un comptoir. Un peu trop rapidement tenté de dire qq chose de ce que je peux savoir par expérience, on va dire poètique, du process de création, mais ce sont des choses que vous savez aussi bien que moi en fait. J'ai essayé d'être suffisament abstrait pour être au plus près de la réalité de façon à ne pas en faire l'illustration et laisser de la liberté d'interprétation à ce qui peut venir.


--

antoine moreau


Il est certain que l'art repose sur le perfectionnement de la forme. Mais vous - c'est votre seconde erreur cardinale - vous croyez qu'il consiste à créer des oeuvres parfaites sur le plan formel ; ce processus universel et infini de la création de la forme, vous le réduisez à la production de poèmes ou de symphonies ; et vous n'avez même pas été capables de jamais sentir et expliquer à autrui le rôle énorme que la forme joue dans notre vie. Même en psychologie vous n'avez pas pu lui assigner la place qui lui revenait. Vous continuez à imaginer que notre conduite est régie par des sentiments, des instincts, des idées, et vous tendez à considérer la forme comme un ajout superficiel et un simple ornement. (...) Si les vers et les insectes sont toute la journée à la poursuite de nourriture, nous passons notre temps, nous, à la poursuite de la forme, nous nous battons avec d'autres hommes pour un style et un genre de vie ; que nous allions en tram, conduisions notre voiture, nous amusions, nous reposions ou fassions des affaires, toujours et en toute circonstance, nous cherchons la forme, nous jouissons ou nous souffrons par elle, nous nous plions à elle ou nous la violons et la brisons, ou nous la laissons nous recréer, amen. Ô puissance de la Forme ! Par elle meurent les nations. Elle provoque des guerres. Elle fait surgir en nous quelque chose qui ne vient pas de nous. Si vous l'ignorez, vous ne pourrez jamais expliquer la sottise, le mal, le meurtre. C'est elle qui commande nos plus infimes réactions. C'est elle qui se trouve à la base de la vie collective. Mais pour vous Forme et Style restent des concepts purement esthétiques, pour vous le style n'existe que sur le papier, c'est celui de vos récits. Messieurs, qui donnera une tape sur le cucul que vous osez présenter aux gens quand vous vous agenouillez devant l'autel de l'art ? Pour vous, la forme n'est pas quelque chose de vivant, vous vous livrez dans le vide à des stylisations abstraites. Au lieu de vous servir de l'art, vous le servez et, doux comme des moutons, vous le laissez entraver votre évolution et vous enfoncer dans un enfer indolent. (...) Voici : le temps est venu, l'heure a sonné, essayez de surmonter la forme, de vous affranchir de la forme ! cessez de vous identifier à ce qui vous limite. Vous qui êtes artiste, essayez d'éviter l'expression de vous-même. Ne faites pas confiance à vos propres paroles. Méfiez-vous de votre foi et ne croyez pas à vos sentiments. dégagez-vous de votre apparence et redoutez toute extériorisation autant que l'oiseau redoute le serpent.

Witold Gombrowicz, "Ferdydurke" ( in introduction à "Philidor doublé d'enfant")




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